Qui vive ?  Le communisme !

 

 

 

 

Annoncer Gaza (2)

(François Nicolas, dimanche 13 janvier 2013)

 

 

 

 

(fichier format pdf à télécharger : http://www.egalite68.fr/Qui-vive/Annoncer-Gaza-2.pdf)

 

 

 

 

 

Photos du camp de Khan Younès..................................................................................................... 2

Impressions générales de l’Égypte post-Moubarak.......................................................................... 5

Pas de police dans les rues............................................................................................................. 5

Dans le Sinaï….............................................................................................................................. 6

Autres rencontres marquantes......................................................................................................... 6

Rencontre au Caire avec les activistes égyptiens (mercredi 26 décembre).................................. 6

Rencontre d’écoliers, lycéens et étudiants de Gaza-ville (samedi 29 décembre).......................... 8

Rencontre de handicapés de guerre (samedi 29 décembre)........................................................ 11

Rencontre des paysans de Jouhr Al-Dik (lundi 31 décembre).................................................... 11

Autres comptes rendus................................................................................................................... 13

Autres impressions générales.......................................................................................................... 13

L’obscénité israélienne................................................................................................................ 13

Plan d’Israël ? Avenir de la Palestine ?...................................................................................... 14

Hamas......................................................................................................................................... 15

Négociation armée avec Israël.................................................................................................... 15

« Réserve ».................................................................................................................................. 16

Divers.......................................................................................................................................... 17

Gaza, une brèche…........................................................................................................................ 18

 

*

 

 

 

Voici la suite et la fin du compte rendu de ma brève enquête (26 décembre 2012 – 1° janvier 2013) menée à Gaza dans le cadre de la dernière « Mission ‘Bienvenue en Palestine ».

 

Pour la première partie, voir « Annoncer Gaza (1) – dimanche 6 janvier 2013 »

 

*


Photos du camp de Khan Younès

(voir compte rendu de notre visite dans le précédent Qui-vive)

la ruelle du quartier familial visité

au premier plan à gauche, la maison avec le jeune marié                       à droite, derrière les arcades, la salle collective

 

 

                   

Les enfants arrivent en premier.                                                      L’apparition rituelle de l’âne

Le sourire des petites filles…                                                                                             comme celui des garçons !

 

 

 

Imaginez quand il pleut !

 


Voici d’ailleurs ce que je viens d’apprendre :

Les pluies abondantes ont détruit des dizaines de tunnels de contrebande le long de la frontière entre l’Égypte et Gaza

Par Zach Pontz – Algemeiner | Adaptation française : Hanna Lévy

vendredi 11 janvier 2013

Les fortes pluies ont détruit des dizaines de tunnels de contrebandes le long de la frontière entre l’Égypte et Gaza, a annoncé l’agence de presse allemande DPA en citant jeudi, les déclarations d’un haut responsable de la sécurité égyptienne. Selon la source, les tunnels se sont effondrés après qu’ils aient été inondés, provoquant des dizaines de blessés se trouvant à l’intérieur ainsi que la détérioration des marchandises en transit.

 

Le camp a donc dû être inondé ce vendredi…

 

 

Nous passons, ils demeurent.


Impressions générales de l’Égypte post-Moubarak

Mes impressions d’Égypte sont surtout des impressions du Caire - notre traversée du Sinaï aller et retour ne me permet guère d’en dire beaucoup plus.

 

 

L’impression dominante est que la « révolution » s’est arrêtée avant même de toucher à la question sociale, à la répartition des richesses, à l’organisation du travail et à la question de la propriété des outils de travail.

Au Caire, la place Tahrir était occupée, à notre arrivée comme à notre départ, par un vaste groupe de miséreux installés sur le terre-plein central (leur camp de tentes ressemblait plus à un camp de SDF – tels les Don Quichotte ayant occupé à Paris les berges du Canal St-Martin - qu’à un campement politique) et bloquant les rues environnantes de pseudo-barrages faits de maigres barbelés. Visiblement, ils étaient là pour signifier que les changements institutionnels intervenus les avaient laissés sur le bord de la route, dans la misère la plus noire et qu’il serait temps pour l’Égypte de se soucier de ses pauvres, de leur donner du travail et un logement et pas seulement de se disputer sur tel ou tel article constitutionnel.

Si la « révolution » a reflué, laissant sur le rivage son cortége de Misérables, les choses politiques ne font-elles que commencer en Égypte ?

Pas de police dans les rues

Le premier point frappant quand on arrive au Caire – et surtout quand on y revient trois ans après la Gaza Freedom March -, c’est qu’on n’y voit plus aucun policier dans les rues. La rue à ce titre est fort différente de celle de l’ère Moubarak. Elle est même différente de la rue parisienne qui, par comparaison, fait apparaître la France comme un pays sous contrôle policier si ce n’est militaire.

D’où l’impression, qui s’accentuera à Gaza, d’une société s’autocontrôlant plutôt qu’extérieurement encadrée par un appareil d’État séparé. Il est vrai que le sentiment de se trouver dans un pays musulman est fortement constitué par l’affirmation incessante de voix psalmodiant le Coran (dans le taxi qui m’emmenait de l’aéroport à l’hôtel, dans les rues par les appareils radio, le matin par les muezzins…). Qu’est-ce que cette culture musulmane omniprésente désigne exactement ? Ce n’est pas si facile de le comprendre, comme en témoigne l’exemple suivant.

Dans le Sinaï…

Une pub

Lors de notre traversée du Sinaï, nous nous arrêtons dans une cafétéria.

J’ai l’habitude, dans ce genre de circonstances, de me tenir un peu à l’écart du groupe pour mieux examiner la situation et les gens. Au gré de mes parcours, je repère au-dessus de l’entrée de la cafétéria cette publicité :

Elle se lit ainsi :

« Je bois frais | Coca-Cola | Au nom de Dieu   ce que Dieu a voulu [1] | Coca-Cola | Je bois frais »

Je m’étonne de cet accolement {publicité capitaliste transcendance religieuse }.

J’interroge alors deux membres musulmans de notre groupe : « Cela vous choque-t-il ? Pourquoi aucune réaction de musulman à cette manière d’utiliser le nom de Dieu pour vendre une telle pacotille ? ». Les deux amis, frappés de mon attention à ce genre de détail, restent perplexes. Après réflexion, ils me précisent qu’à leurs yeux, ceci ne constitue pas à proprement parler un blasphème mais que cela témoigne des contradictions idéologiques actuellement à l’œuvre en Égypte.

La misère encore…

Seconde image, dans cette même halte : juste derrière la cafétéria où nous sommes arrêtés pour manger un peu, un tas d’ordures en plein air. Une jeune fille (16 ans ?) et son petit frère le fouillent. Ils voient que je les regarde. Ils s’arrêtent, regards graves tournés vers moi. Je ne sais que faire : je leur tends la nourriture – sac de chips - que je suis en train de manger. Le petit garçon interroge sa sœur du regard avant de se précipiter le prendre en me souriant. Cinq minutes plus tard, ils sont toujours là. La scène se répète. J’ajoute au chocolat un petit billet. Ils partent alors tranquillement sur un âne : la quête du jour doit leur suffire.

Personne d’autre n’a fait attention à la scène. Misère ordinaire qui ne semble étonner personne.

Autres rencontres marquantes

Rencontre au Caire avec les activistes égyptiens (mercredi 26 décembre)

Nous rencontrons, à notre arrivée au Caire, les 25 militants égyptiens avec qui nous allons visiter la bande de Gaza.

 

Une première présentation individuelle de chacun des membres des deux délégations confirment la diversité des militants en question. Les interventions – en arabe – lors du meeting-concert qui va suivre vont confirmer cette diversité.

La délégation égyptienne comporte en particulier un Frère musulman déclaré, qui semble appartenir au parti actuellement au pouvoir en Égypte et qui a dû passer par les geôles de Moubarak. Il nous fait une brève et intéressante déclaration : « La Palestine n’est pas un problème arabe. La Palestine n’est pas un problème musulman. La Palestine est un problème pour toute l’humanité ! ». « À l’heure actuelle, la Palestine est la seule cause qui unit les Égyptiens. En ces temps de divisions internes, cette cause unifiante nous est aujourd’hui particulièrement précieuse. »

Programme du Gala qui suit…

La poésie…

Premier trait saillant : le meeting commence par deux interventions relevant explicitement de la poésie.

La première est d’un écrivain (différent de celui annoncé). Il va lire un ancien poème de sa composition qui fustigeait l’absence de soutien à la Palestine par le régime de Moubarak.

La seconde est du poète Tameem El Barghothy [تميم البرغوثي‎,], 35 ans, qui ne lira pas de poème – il dit que, jusqu’à présent, le sujet Palestine ne l’a pas inspiré - ; il déclare qu’il va simplement dire ce qu’il pense. Il conduit alors visiblement son propos sous une forme poétisante, très marquée par une modalité reconnaissable de rhétorique langagière (mètre, accents, articulation…).

Ma connaissance rudimentaire de la langue arabe ne m’a malheureusement pas permis de saisir le détail de ces deux interventions. Mais, à l’évidence, la langue y était fort travaillée, et très magnifiquement prononcée – à ce titre, les deux intervenants me donnaient l’impression d’orateurs plus encore que de poètes (écoutez les grands poètes arabes - Mahmoud Darwich, Adonis… - lire leurs poèmes : il est patent qu’ils ne les lisent pas très bien, car ils n’ont ni la voix ni la diction pour cela). L’effet d’envoûtement de la grande et magnifique langue arabe littéraire opérait, enflammant la salle ; mais je ne pouvais m’empêcher d’y soupçonner le risque d’une éloquence un peu vaine, de l’enflure du beau verbe, d’une séduction par un discours d’autant plus ronflant qu’il est un peu creux, bref le risque récurrent (voir Nasser et les hommes d’État charismatiques) de « se payer de mots » : y avait-il vraiment là en jeu une idée neuve de la Palestine ?

Je me rabrouais intérieurement en me disant : au moins, il y a encore, en cette langue, des orateurs ; je n’en vois plus guère en langue française. Cela me faisait donc plaisir qu’une rencontre politique puisse accorder une telle importance à la poésie et à la langue (même si cette prééminence accordée à la plastique de la langue risquait de se faire au détriment de la pensée neuve).

Un salafiste plein d’humour

Il y eut ensuite l’intervention visiblement pleine d’humour et de facétie de Mohammad Tolba, un autre membre de notre délégation, un autoproclamé salafiste (la taille de sa barbe venant surligner sa proclamation) responsable de l’ironique association « Salafyo Costa [2] » - « les Salafistes du [Café] Coste » ! [سلفيو كوستا] – qui avait le mérite de montrer la diversité et l’intelligence des musulmans engagés dans la cause palestinienne et la « révolution » égyptienne en cours. À elle seule, cette présence à nos côtés d’un « orthodoxe » musulman, éclairé et non égaré, constituait le signe qui ne trompe pas que quelque chose d’intéressant était bien en train de se passer en Égypte.

Il me déclarera plus tard militer pour la Palestine depuis plus de dix ans. À ses dires, la seconde Intifada (2000) a donné envie aux Égyptiens de faire quelque chose. Beaucoup ont alors choisi d’organiser un boycott, non pas des produits israéliens (il n’y en a pas en Égypte) mais américains.

Il est lui-même informaticien. C’est lui qui déclarera publiquement que les Palestiniens sont considérés comme les meilleurs du monde dans ce domaine.

Eskenderella

À la fin de la soirée, le concert du groupe musical Eskenderella était fort intéressant et instructif. Le groupe, mixte, met en scène une antiphonie garçons-filles (alternance des groupes vocaux en réponses et commentaires) sans complexe : la polarité sexuelle est active, ni exhibée, ni refoulée.

La chose qui m’a le plus frappé est son traitement splendide de la langue arabe (là où je craignais d’être une fois de plus confronté à cette brutalisation uniforme des langues à laquelle le rap en général procède, par des accents systématiquement à contre-langue…). Ici, c’est tout le contraire : non seulement les textes disent visiblement quelque chose de la récente insurrection égyptienne, surtout de sa composante jeunesse, mais ils sont également articulés avec un soin extrême pour la langue : celui qu’une vraie diction poétique impose et dont le modèle quasi insurpassable se trouve dans le tajwîd (cantillation coranique).

Pour que le lecteur, même profane, s’en rende aisément compte, qu’il aille écouter, à partir de la 30° seconde, la jeune femme récitant un poème sur la Syrie de Fouad Hadâd (1927-1985) : http://www.youtube.com/watch?v=MWU3T5v9Eoo, poème et morceau qui furent précisément au programme de notre soirée du Caire.

Cette appropriation attentive de la langue par des jeunes suffisait déjà à me séduire. Qui plus est, la réappropriation par la jeunesse d’une poésie populaire et militante (Fouad Hadâd a connu les geôles de Nasser pour activités communistes ; son parcours comme sa poésie me font penser à un Jacques Prévert) constitue également un très bon signe.

Enfin le groupe pratique l’humour – qualité égyptienne s’il en est – et l’ironie (contre les Israéliens, et singulièrement les Israéliennes) ce qui sent bon le non-dogmatisme.

Tout ceci, assurément, est de bon aloi pour l’Égypte actuelle.

 

Je suis malgré tout sorti de ce meeting avec l’impression latente que Palestine restait, ce soir-là, le nom un peu convenu et codé de quelque chose d’ancien, en tous les cas que cela ne constituait pas tout à fait un nom apte à nous précéder.

Rencontre d’écoliers, lycéens et étudiants de Gaza-ville (samedi 29 décembre)

Successivement :

·       École primaire Hasan Al-Basri [3] (au centre de Gaza) [الحسن البصري] {al-Ha-san al-baS-rî}

·       Lycée Al Kamel [4] (mitoyen de l’école précédente) [الكامل‎] {al-kâ-mil}

·       Université Islamique de Gaza [الجامعة الاسلامية - غزة]. Rencontre avec des étudiants des différentes universités de la ville qui apprennent le français.

École

L’école mixte fonctionne en deux services, faute d’enseignants et de places : les garçons le matin, les filles l’après-midi.

Nous la visitons le matin : nous rencontrerons donc 200 garçons, d’abord regroupés par classes sous la houlette de leur instituteur, puis bien vite, tous confondus en une vaste houle, pleine de vie, de cris et de rires.

En partant, nous découvrirons les premières filles qui arrivent, en uniforme : robes vertes, collerettes blanches - cela me rappelle mon enfance : ma sœur portait également un uniforme scolaire, quand mon frère et moi n’en portions pas.

J’ai passé ma petite enfance en Tunisie et mon adolescence en Algérie. D’où que ce voyage ait réactivé beaucoup d’images venues de cette période lointaine.

 

  CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 85

 

Concernant le rapport aux enfants, deux voies se constituent dans notre groupe : d’un côté ceux qui s’amusent à les hystériser par l’usage brandi des caméras et appareils photos - rien de mieux, en effet, pour déclencher les éruptions collectives aptes à composer au retour de belles images d’« enfants palestiniens résistants » ; d’un autre côté, ceux qui s’attachent plutôt à parler calmement, à s’intéresser à ce que tel ou tel peut nous dire en cette circonstance. Je m’oriente selon cette seconde voie. L’échange avec les enfants est alors immuablement rythmé ainsi ; la première phrase est une question, adressée par des yeux rieurs : « Quel est ton nom ? What’s your name ? Ismouka ? » - tout commence ainsi par l’échange des prénoms qui retrouve ici son poids symbolique. La seconde phrase est pour donner son propre prénom. La troisième est à nouveau une question : « D’où viens-tu ? ». L’échange atteint difficilement une cinquième phrase, une fois acquis, par la quatrième, qu’on est bien ici à Gaza en Palestine et qu’ici, on est bien. D’un commun accord, on s’arrête en général là, d’un grand sourire, la main portée sur le cœur.

 

Avec certains enseignants, le déroulement diffère.

L’un d’eux me déclare ainsi qu’il ne voudrait qu’une chose : pouvoir travailler en paix avec les enfants.

Un autre me demande – question récurrente – ce que les gens en France pensent de Gaza et de la Palestine. Je lui expose la différence entre d’un côté le gouvernement et les medias, massivement prosionistes, et d’un autre côté les gens ordinaires, sensibles à la cause palestinienne. Je force ce faisant le trait ; je le lui indique ; il me répond qu’il le sait bien. Je n’ose aller jusqu’à lui dire plus clairement que la France n’est plus la France.

 

Je rentre dans une classe pour voir ce qu’ils travaillent. Je découvre la leçon inscrite au tableau. Je constate tristement qu’ici comme ailleurs, l’arabe enseigné fait l’économie de la voyellisation (pas de « harakas ») ce qui, en particulier pour des enfants de cet âge, constitue à mon sens une mauvaise orientation [5].

Lycée

Nous visitons ensuite le lycée mitoyen. Après la « réception officielle », nous en venons au moment plus marquant des échanges avec une classe de première littéraire (notre délégation s’est partagée en 8 groupes qui visitent chacun une classe différente).

On remarquera, au passage, la totale liberté de rencontre qui nous a été accordée.

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 85

 

Les lycéens qui nous font face ont 16 ans.

Voici le relevé des questions qu’ils nous adressent :

·       « Est-ce que cela a été difficile pour vous de rentrer dans Gaza ? »

·       « Que représente votre délégation ? »

·       « Avez-vous eu peur de venir ? »

·       « Comment vous êtes-vous regroupés ? »

·       « Est-ce que vous reviendrez l’an prochain ? »

·       « Pourquoi n’êtes-vous pas venus pendant la guerre de novembre dernier ? »

·       « Que pensez-vous quand vous voyez des enfants massacrés ? »

Je ne transcris pas nos réponses, improvisées selon la sensibilité des uns et des autres : elles ont moins d’intérêt que ces questions suscitées par notre présence au milieu d’eux.

Université

La matinée se conclut par une réception à l’Université islamique de Gaza en présence des étudiants et étudiantes apprenant le français dans les trois universités de la ville.

L’Université islamique est mixte : 62% des étudiants sont des filles. On y étudie la médecine, l’architecture, le commerce, la littérature et les langues.

 

Un fois de plus, le plus intéressant est le moment de libres rencontres qui suit la partie officielle de la réception. Là encore, les échanges sont joyeux : pour ma part, ceux que je mène avec un groupe de jeunes filles portent sur la comparaison de l’apprentissage du français et de l’arabe. Les jeunes filles sont fières de me montrer leur maîtrise orale du français. Je remporte un petit succès en leur montrant ma connaissance de l’arabe du Coran et des hadiths…

 

Le besoin qui se révèle le plus important pour ces étudiants est la possibilité de pratiquer oralement le français. Avis aux amateurs prêts à partir là-bas pour animer des groupes de pratique du français !

Rencontre de handicapés de guerre (samedi 29 décembre)

Notre délégation, officiellement reçue par les Autorités gazouies et représentant la plus importante délégation occidentale non humanitaire qui soit jamais entrée dans la bande de Gaza, a été comprise par différentes associations comme constituant une puissance auprès de laquelle il s’agissait d’être présentées.

Quelques soirées à l’hôtel ont ainsi été consacrées à la réception de ces associations. L’exposition de leur projet propre pouvait être  intéressant tout en me laissant un peu mal à l’aise : à l’évidence, nous ne pouvions que leur retourner quelques vagues paroles d’encouragement, sans avoir véritablement les moyens de relayer en France leurs propos (nous ne représentons que nous-mêmes).

Le taiseux qui se met à parler ;

De toutes ces rencontres, l’une m’a plus particulièrement frappé, ou plus exactement un moment particulier d’une d’elles : le moment – traditionnel en politique - où l’un des membres d’une assemblée, jusque-là silencieux, se met à parler et déclare alors des choses bien intéressantes (choses, en l’occurrence, que le représentant officiel de son propre groupe n’avait su dire, trop occupé qu’il était à lire un texte soigneusement préparé).

Il s’agissait d’une association d’aide aux handicapés (5% de la population de Gaza serait handicapée !), association qui consonnait singulièrement avec la présence dans notre propre délégation d’un handicapé en fauteuil roulant : la fraternité de situation trouvait ici son point de capiton propre.

Un homme de cette délégation, lui-même en fauteuil roulant, a donc voulu ajouter quelques mots à tous les propos officiels jusque-là échangés et s’adresser directement à nous.

Il nous a déclaré qu’en nous voyant, il avait pris mesure de notre diversité interne car il y avait parmi nous des grands-parents, des parents et des jeunes. Cette diversité interne l’avait frappé (il est vrai qu’elle n’est pas si fréquente). Il a tenu à nous préciser qu’elle lui apparaissait comme une force (et c’est d’ailleurs, à l’entendre nous le dire, que, pour ma part, j’en ai seulement pris mesure). Il a conclu son propos par ses mots, qui m’ont touché :  « Soyez nos ambassadeurs ! »

En plusieurs circonstances, les gens nous ont de même déclaré : « Votre arrivée à Gaza est pour nous une grande chose. Ce n’est pas une visite ordinaire. C’est votre deuxième tentative pour venir nous voir. »

« Je ne pensais pas que vous seriez venus si nombreux, et si divers en âge. La diversité des âges dans votre délégation [6] montrent que nos soutiens à l’étranger changent et évoluent. »

Rencontre des paysans de Jouhr Al-Dik (lundi 31 décembre)

Nous nous sommes rendus à Jouhr Al-Dik [7] (au Nord-Est de la bande de Gaza) dans la « zone tampon » unilatéralement imposée par Israël sur les terres palestiniennes.

Pourtant, si Israël veut créer une zone de sécurité, pourquoi ne constitue-t-elle pas un no man’s land sur son propre territoire entre la frontière et ses premières zones occupées comme le ferait tout autre pays dans la même situation ? Je ne sache pas que les États-Unis impose au Mexique une zone désertique précédant la barrière électrique qui marque la frontière : ils l’établissent chez eux, sur leur propre sol.

La recherche du contact avec l’ennemi nous a amenés à nous avancer jusqu’à 100 mètres des soldats israéliens. Mais la chose était un peu dérisoire : nous savions bien que nous ne risquions rien quand nos amis paysans qui, eux, restaient risquaient des représailles une fois notre délégation partie. [8]

Inutile cependant de cacher la joie légitime qu’il y avait pour nous à témoigner, face à la soldatesque israélienne, que nous étions enfin arrivés dans la bande de Gaza, aux côté de nos amis gazaouis et leur faisant face.

« Je veux vous parler de notre souffrance. »

Une fois de plus, le plus intéressant de cette matinée n’était pas la dénonciation de l’État d’Israël (dénonciation par ailleurs légitime et nécessaire – j’en reparlerai plus loin) mais la rencontre des agriculteurs vivant dans cette « zone tampon ». C’est là que l’exposition du thème de la « souffrance » m’a le plus immédiatement frappé.

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 85

Lors de la séance officielle des discours, un paysan, doté de la dignité du travailleur manuel dur au mal, nous a déclaré, les yeux dans les yeux : « Je veux vous parler de notre souffrance. »

Choc ! C’était la première fois que je recevais une telle déclaration de plein fouet. L’homme n’était pas physiquement blessé. Il se tenait droit, dans la force de l’âge. Ce n’était ni une mauviette, ni un miséreux, ni un homme abattu. Il n’était pas malade et ne se présentait pas comme « souffrant ». L’homme n’était pas plaintif. Il ne nous appelait pas à la pitié, ni même à la compassion. De quoi alors voulait-il exactement nous parler ?

« Je veux vous parler de notre souffrance. »

S’adressait-il ainsi à nous car il nous prenait pour un groupe de visiteurs occidentaux venus en reportage dans cette « réserve », lors d’une sorte de safari-photo ? S’adressait-il à nous en usant alors de mots spécifiquement destinés dans son esprit à nous émouvoir ?

Il ne m’a pas semblé.

Il m’a plutôt semblé qu’il voulait nous parler de leur souffrance quotidienne, à longueur de vie, de cette souffrance qui s’attache à la peine de vivre, à celle d’arriver à dignement vivre sous une injustice permanente, cumulative, incessamment renouvelée et alourdie.

Souffrance de qui « souffre » d’injustice, de qui « souffre » de voir sa femme et ses enfants souffrir d’injustice, souffrance du père incapable d’éviter à ses propres enfants cette souffrance, incapable de pouvoir porter à lui seul la souffrance de la situation, souffrance de qui ne peut en préserver ceux qu’il abrite sous ses larges épaules et qu’il protège pourtant de ses larges mains épaisses.

« Nous avons gagné une bataille. Il nous en reste beaucoup d’autres à gagner. »

Comment rendre justice de ce paysan massif regardant au loin la terre qu’il travaillait et qui lui a été volée, et qui nous veut témoin de tout cela ?

« Gaza avec vous n’est pas orpheline. »

Comment rendre justice de tout cela en rentrant en France ?

 

Dans la suite des échanges, vous n’osez pas ce matin-là poser des questions sur l’organisation du travail paysan : qui possède ces terres ? S’agit-il de propriété privée et alors de qui ?, de propriété collective du village ? Qui travaille cette terre : leurs propriétaires, des ouvriers agricoles ? Les gens à côté desquels vous êtes assis sont-ils homogènes ou ont-ils des statuts sociaux différents ?

Vous comprenez que le lieu et le moment ne sont pas à de telles questions. Vous les réfrénez donc – autodiscipline du militant – mais ceci ne facilite pas la compréhension de la mission exacte qui, ce matin, vous est confiée par ces hommes.

Autres comptes rendus

Les sites « Bienvenue en Palestine » et « Europalestine » ont publié une série de comptes rendus de notre visite collective à Gaza, agrémentés de nombreuses photos.

En voici la liste (j’ai moi-même rédigé ceux de l’école de musique et du camp de Khan Younès) :

·       Hôpital Al-Shifa

·       Stade de foot détruit

·       Spectacle de marionnettes à l’école primaire

·       Lycée Al-Karmel

·       Les pêcheurs

·       L’observation nocturne à Gaza

·       Les paysans

·       L’école de musique

·       Le match de foot

·       Khan Younès

Autres impressions générales

Je terminerai ce compte rendu par différentes impressions générales qui n’ont pu trouver de points de chute adéquats dans ce qui précédait.

L’obscénité israélienne

Non seulement Israël opprime, étrangle, étouffe, voir assassine, mais Israël le fait avec une arrogance et une désinvolture proprement obscènes – celles de colons persuadés de leur supériorité méprisante. Quelques exemples, glanés lors de ce séjour.

Le Wadi Gaza

On me parle d’un fleuve et d’une vallée (Wadi) Gaza. Je m’étonne : un fleuve ? Je n’ai rien aperçu de tel. Où se cache-t-il ?

La prochaine visite vers le sud va m’éclairer. Sur la rouge qui longe la côte, on découvre un pont détruit. J’apprends que les Israéliens l’ont à nouveau attaqué fin 2012, histoire de bien rappeler aux habitants de la Réserve qui en restent les Maîtres.

« Tiens un pont ! Et pourquoi faire ? » En approchant, la puanteur pénètre notre bus qui transite lentement, sur la route sablonneuse contournant le pont détruit. On devine en effet une ancienne vallée qu’on découvre remplie de boue stagnante baignée d’ordures. On nous explique : le « fleuve » prend sa source en Israël qui a détourné l’eau à son profit, privant ainsi les Gazaouis de son ancienne irrigation. En échange, les Israéliens ont fait cadeau aux Gazouis de leurs eaux usées qui s’écoulent désormais par cette ancienne vallée, ce qui explique la puanteur du lieu.

Le fleuve palestinien transformé en égout israélien à ciel ouvert ! J’imagine que la « coopération renforcée » dont Israël se targue – elle consiste à imposer aux Gazaouis l’achat de produits israéliens ! – va bientôt conduire ses avions à venir faire cadeau aux Gazaouis de ses propres sacs poubelles !

La lumière de la ville Askelon

Un autre exemple caractéristique : Israël organise le blocus électrique de Gaza, ne dispensant l’électricité qu’au compte-goutte – toujours la politique du lent étouffement, de la main serrant progressivement le cou gazaoui.

D’où que la nuit à Gaza soit marquée. Mais que voit-on de nuit du balcon de mon hôtel en direction du nord ? Une usine qui crache sa fumée et, plus au nord encore, une ville resplendissante de lumière. C’est une usine israélienne produisant… de l’électricité et la ville israélienne d’Ashkelon dont les lueurs viennent narguer les Palestiniens condamnés à l’obscurité.

On se retrouve ainsi habitant une vaste favela dominée par quelque arrogante propriété privée venant étaler sa lumière et jeter sur les miséreux les cendres de ces activités…

Les cargos israéliens

Autre obscénité : aucun bateau étranger ne peut entrer dans le port de Gaza, la Marine israélienne l’interdit militairement (et la Marine française a contribué, un temps, à cette infamie).

Mais à l’horizon, au nord de Gaza-ville, le va-et-vient des cargos n’a de cesse de nuit et de jour : les gardiens de la Réserve ont, eux, droit au confort moderne, garantis par les échanges internationaux, pendant que les animaux humains, parqués dans leur réserve naturelle, n’ont qu’à se débrouiller entre animaux…

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 85

Acharnement

Exemple maintenant d’acharnement.

Les Israéliens ne rasent pas la bande de Gaza, je l’ai dit. Ils « gèrent » d’en haut (par drones et F16) l’occupation et l’organisation du terrain par la population indigène. Ils détruisent ce qu’ils décident impunément de détruire.

Ainsi les derniers bombardements fin 2012 se sont concentrés sur certaines cibles, mais en s’acharnant alors à les réduire en poussière.

Deux exemples, vérifiés de mes yeux :

·       la destruction du stade de foot qui n’a pu se faire qu’avec au moins trois frappes différentes ;

·       la destruction du Ministère de l’Intérieur (il s’agit ici d’un autre bâtiment que celui dont il a été question dans le précédent Qui-vive et qui concernait, lui, la Préfecture de police délivrant les papiers d’identité). Cette destruction n’a laissé, sur un territoire d’environ 100 mètres sur 100 mètres, que des gravats entassés uniformément sur 4 mètres de haut. Il est clair que pour niveler un tel bâtiment sur une si petite et si régulière hauteur résiduelle, il a fallu plus de trois missiles. Nos amis nous apprennent que les Israéliens ont envoyé au moins 12 missiles sur ce seul bâtiment, répartis en trois vagues. Leur but était non seulement de l’abattre pour le rendre inopérant mais de le raser, de n’en pas laisser nulle pierre sur pierre, afin de bien témoigner aux Gazaouis qu’ils ne sauraient prétendre à de tels Ministères, à l’évidence superflus pour une simple Réserve.

Plan d’Israël ? Avenir de la Palestine ?

Quel plan Israël suit-il en cette affaire ? Mon impression est qu’Israël ne vise pas la reconquête de Gaza – qui de toutes les façons lui coûterait trop cher en vies humaines –.

Israël veut sans doute avaler la Cisjordanie et faire cadeau de Gaza à l’Égypte qui n’en veut pas – à moins qu’Israël arrive entre-temps à vider la bande de Gaza de sa population par un mélange de brutalité (elle s’en charge) et de corruption (tâche plutôt déléguée aux pays occidentaux prêts à s’acheter du Palestinien diplômé).

 

D’où qu’un enjeu crucial semble de plus en plus une non-séparation entre la bande de Gaza, la Cisjordanie et la population intérieure d’Israël.

C’est sans doute à ce titre qu’il faut comprendre la récente décision de rattacher l’école de musique de Gaza au Conservatoire National comme sa cinquième branche.

C’est aussi à ce titre que nous écoutions les discours des responsables politiques gazouis nous recevant en décomptant le nombre de fois où le signifiant « Palestine » venait (ou ne venait pas !) dans leur bouche. Où l’on eût plusieurs fois l’occasion de vérifier que les responsables du Hamas faisaient souvent l’économie du mot.

Où l’on retrouve une ligne de partage idéologique entre le Hamas, privilégiant les signifiants islamiques, et le Fatah, privilégiant les signifiants palestiniens…

 

Mon impression est que l’avenir de la Palestine va ainsi se jouer dans l’articulation entre d’un côté les camps de réfugiés tel celui de Khan Younés et d’un autre côté les Arabes vivant comme Israéliens en Israël.

Je ne sais si des liens se maintiennent entre ces deux bords mais il me semble que la Palestine devra arriver à embrasser ces deux bords extrêmes pour continuer d’inventer ce dont elle est capable.

Hamas

Un point complémentaire sur le Hamas.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les Gazaouis n’ont pas d’appétence particulière pour le Hamas. Si celui-ci est arrivé majoritaire aux élections de 2006, c’est en raison des voix qu’il a obtenues en Cisjordanie, non à Gaza.

Si finalement c’est à Gaza qu’il s’est installé, c’est en raison de manœuvres du Fatah : les principaux cadres du Hamas étaient dans les prisons israéliennes, et les seuls qui restaient disponibles pour l’appareil d’État embryonnaire se rassemblaient à Gaza. C’est ainsi que la répartition Cisjordanie au Fatah et Gaza au Hamas s’est imposée lorsque Mahmoud Abbas a refusé d’accorder au Hamas ce à quoi les élections lui avaient pourtant donné droit.

 

Il semble que le Hamas s’avère finalement relativement plus honnête et moins corrompu que le Fatah.

En tous les cas, une réussite indéniable dans la bande de Gaza consiste dans l’école gratuite pour tous (sans compter une santé traitée égalitairement, avec les moyens du bord bien sûr).

Négociation armée avec Israël

Les Gazaouis décomptent deux « guerres » spécifiques :

·       la première de 22 jours en 2008-2009 [9] ;

·       la seconde de 8 jours fin 2012.

Comme rapporté dans le précédent numéro, les Gazouis tiennent avoir gagné la seconde, et ce sentiment de victoire, à mon sens, vaut à lui seul victoire.

 

Pour beaucoup de Gazaouis rencontrés, cette seconde guerre n’est en fait que la deuxième : une troisième suivra nécessairement, qu’ils considèrent devoir remporter comme ils tiennent avoir remporté la dernière.

L’enjeu de cette troisième guerre à venir sera pour eux une autre étape dans la sorte de négociation armée à laquelle ils se trouvent contraints par le blocus militaire israélien. Il s’agirait d’y obtenir la disparition de la dernière zone tampon qu’Israël impose sur leurs meilleures terres agricoles, une extension de leur zone de pêche leur donnant enfin accès aux fonds non sablonneux où les bancs de poissons prolifèrent (je rappelle l’infâme paradoxe : les accords d’Oslo leur accordent ce droit, mais comment imposer son respect à Israël et ses bateaux de guerre ?).

 

Cette logique de négociation armée porte un nom : c’est la Ishtibak Tafawadi ou « affrontements de négociation ».

On touche ici à cette figure de dialecticité propre à la langue arabe qui s’attache entre autre aux mots désignés comme aDdad, ces mots qui pointent la capacité de dire d’un seul trait l’unité des contraires – l’exemple canonique est le verbe arabe qui dit à la fois le fait de sortir l’arme du fourreau et le fait de l’y ranger en indiquant simplement… que l’arme bouge dans le fourreau !

Le problème est bien sûr qu’une telle dialecticité peut facilement se transformer en pure et simple sophistique (et la sophistique arabe est fort riche : c’est elle qui alimente la puissance rhétorique sans égale de la grande langue arabe dont on connaît l’effet soporifique possible).

« Réserve »

J’ai indiqué, dans le précédent Qui-vive, que la bande de Gaza m’apparaissait comme une sorte de « réserve à Palestiniens » organisée et contrôlée par l’État d’ Israël.

Un des effets intéressants pour les Palestiniens de cette politique est qu’elle constitue un ersatz [10] de « zone libérée » où il leur est alors possible de tester différentes orientations politiques internes, en particulier différentes manières de traiter les « contradictions au sein du peuple ».

La figure proprement étatique reste très minime à l’intérieur de la bande de Gaza : pas ou peu de policiers dans les rues ; pas d’armée ; fonctionnent seuls les services officiels de santé, d’éducation, d’hygiène (poubelles) mais je ne sais précisément comment.

Au total, même si plusieurs nous ont bien dit qu’il y avait aussi à Gaza des escrocs et des profiteurs (comme il y en a partout où réside l’humanité), la situation dans les rues n’est pas du tout d’insécurité. Au contraire, une ambiance de fraternité semble plutôt régner, attachée sans doute à la dureté de la situation partagée par tous les habitants de la bande de Gaza.

Ceci dit, notre enquête a été trop brève pour que je puisse en dire plus : comment se résolvent à Gaza-ville les problèmes de vols, de violences ? Je ne sais. Y a-t-il des tribunaux, des prisons ? Je ne sais…

Question sociale

J’ai cependant été personnellement frappé de retrouver, dans la bande de Gaza, des distinctions patentes riches/pauvres (celles que l’on trouve exhibées dans bien des pays « arabes » et « musulmans ») lors même qu’un discours convenu affirmait plutôt le contraire, plaidant la similitude des conditions sociales dans cette situation de résistance collective.

L’argument avancé pour plaider l’égalisation riches-pauvres était, par exemple, qu’ils partageaient de force les mêmes routes défoncées si bien qu’une Mercedes ne pouvait guère y aller plus vite qu’un vieux tacot, et que, tout de même, l’eau était contaminée pour tous.

Certes, sauf que le riche peut continuer de s’acheter, et en abondance, ce que le pauvre ne peut plus se procurer.

Sauf que l’inégalité des demeures est manifeste à se promener dans Gaza-ville (a fortiori à comparer les beaux quartiers de Gaza-ville – il y en a – et ceux de Khan Younes). Ainsi en tournant dans le quartier limitrophe de l’hôpital al-Shifâ, le contraste entre villas d’un côté de la rue (protégées par des grilles privées) et pauvres bâtiments de l’autre était très frappant.

Voici par exemple la face riche de cette rue :

L’écart des niveaux de vie semble ainsi énorme et l’accès à une électricité de substitution (par générateurs autonomes) ne fait qu’en témoigner, tout particulièrement le soir.

Il suffit d’en juger d’après les hôtels : il y en a en effet de « luxueux » (même si l’absence d’eau potable et les problèmes d’électricité s’y font également sentir), tel nôtre Hôtel Palestine (plus luxueux – quoique moins cher - que celui que nous avions utilisé au Caire).

 

Par ailleurs, la contradiction travail manuel / travail intellectuel (et tout son cortège d’inégalités, en particulier en matière de langue) ne semble guère entamée (et l’on sait la brutalité spécifique qu’elle peut prendre dans les pays à culture musulmane qui tendent à entériner la séparation mandarinale entre instruits et petit peuple).

Inégalités dans le territoire

Ces inégalités à l’intérieur de la ville valent encore plus entre différentes parties de la bande de Gaza.

Ainsi Rafah s’est enrichie par le commerce des tunnels au point de devenir la nouvelle capitale économique.

Entre Rafah au sud et Gaza-ville au nord, Khan Younes a été et reste, avec bien d’autres, négligé.

 

À tous ces titres, l’expérience-Gaza ne semble pas, pour le moment, être plus novatrice en matière de rapports sociaux internes que ne l’est l’Égypte post-Moubarak. En tous les cas, ce n’est pas dans cette direction qu’une orientation « communiste » égalitaire semble actuellement au travail.

Divers

Propos dispersés

·       Un technicien du bâtiment, ayant étudié en Ukraine : « Avant, nous circulions, nous voyagions, comme tout le monde. Nous allions travailler à Tel Aviv. C’est cela qu’il faut. Mais les Israéliens ne veulent plus se mélanger. Pourtant, nous n’avons rien contre les Israéliens. Pourquoi nous enfermer ? »

·       Déclaration : « Gaza a pu s’imposer sur la scène internationale par sa volonté. »

·       Un jeune de 16 ans : « Je suis très fier d’être Palestinien ».

·       Un autre jeune, de Khan Younès : « Je vis sur la terre de mon père. Nous restons ici, nous vivons ici, nous mourrons ici. »

Deux moments où nous avons complètement oublié où nous étions

À deux moments, lors de ce séjour, nous avons complètement oublié que nous étions à Gaza, dans cette réserve à Palestiniens : la première fois quand nous faisions de la musique à l’intérieur du Conservatoire de Gaza-ville ; la seconde quand nous assistions au match de foot entre notre délégation et un club gazaoui.

Dans les deux cas, la découpe d’un espace délimité, consacré à une activité intense (musicale ou sportive), rendu ainsi indifférent à l’environnement extérieur, contribuait à inscrire un lieu momentanément préservé de toute influence extérieure.

Comment ne pas comprendre que les Gazaouis viennent ainsi régulièrement ressourcer leur joie de vivre, non de survivre, en ces activités artistiques et sportives !

Chrétiens ?

Il n’y en a plus beaucoup car un grand nombre d’entre eux est parti, suite au retrait israélien de 2005. Cependant, il en reste (3 000 ?). Plusieurs personnes m’indiquent qu’ils sont ici très respectés par les musulmans car ils ont pris la décision courageuse de rester. Un musulman est ainsi fier de pouvoir dire qu’il a un ami chrétien.

Un Gazaoui me précise que les chrétiens sont considérés comme des gens de confiance, très attachés à la terre. Beaucoup travaillent dans la bijouterie.

Robes de mariée

En marchant dans les rues Khan Younes, nous passons devant un magasin proposant des robes de mariée plutôt décolletées et sexy. J’imagine mal ici un cortège public avec une mariée ainsi habillée. Je demande une explication à notre guide. Il me dit que ce sont des robes que les femmes portent alors… entre elles : elles s’habillent ainsi pour elles.

Je me sens aussitôt partagé entre deux sentiments contradictoires : c’est quand même dommage qu’elles ne puissent se montrer publiquement avec ces robes qui rehaussent leurs charmes et qu’il n’y ait que les petites filles (voir photo ci-dessous) à pouvoir les porter dans la rue ; mais d’un autre côté, c’est aussi une belle idée que celle de femmes capables de faire ce genre de choses pour elles –mêmes et ultimement pour leur homme sans se sentir pour autant requises de se représenter publiquement ainsi.

Slogans sur les murs

Dans le camp de Khan Younes, beaucoup de slogans sont peints sur les murs.

Notre guide me précise que la plupart ne sont pas politiques mais souhaitent la bienvenue aux invités lors d’une fête de famille, d’un mariage, etc.

À Gaza-ville, je découvre aussi l’importance publicitaire du pochoir. Par exemple cette Tour Eiffel et le nom Paris (écrit en arabe bârîs) attire mon attention : il s’agit en fait de la pub pour une compagnie de taxis gazaouis qui a adopté ce nom !

Gaza, une brèche…

Deux remarques pour conclure.

 

Un très bon signe : personne sur place ne nous a jamais parlé de « démocratie ». Au moins ce totem du capitalisme parlementaire n’est pas ici de mise et la pensée n’est pas obscurcie de ce fétiche pour Occidentaux néo-coloniaux.

 

Cette visite a réactivé une impression, jaillie il y a cinquante ans et depuis restée au principe de mon activité militante : un peuple – j’appelle peuple une somme [11] délimitée [12] de gens en tant qu’ils se rapportent en commun à une figure concrète du destin de l’humanité – est une force inouïe.

J’avais découvert ce point lors de la guerre du Vietnam : une émission de télévision avait relevé que sur ce pays s’étaient déjà déversées plus de bombes américaines que ne s’étaient déversées de bombes de toutes origines sur le monde entier pendant toute la seconde guerre mondiale. Or ce peuple s’avérait alors n’être ni noyé ni étouffé sous ce tapis de bombes. Comment une telle prouesse subjective était-elle possible ? C’était donc qu’étaient ici en jeu des ressources subjectives invraisemblables, une sorte de bombe atomique subjective, et que cela méritait alors de comprendre ces ressources en s’y liant de manière militante.

Ainsi la politique s’inscrivait dès son premier geste, non sous le signe de la colère et de la révolte (laquelle, dans mon existence, était bien antérieure), non sous le signe de la dénonciation et de l’anti (anti-répression, anti-impérialisme, etc.) mais sous celui de l’adhésion à des possibilités souterraines et inapparentes mais considérables, possibilités travaillant au cœur même des situations concernées. Ce n’était donc pas en marge mais bien au centre des situations politiques contemporaines que résidaient des ressources nucléaires susceptibles, dans certaines conditions – tout le point est là ! – d’être activées.

Le peuple palestinien de Gaza a renouvelé cette même impression : il y a là, dans la résistance opiniâtre à l’injustice israélienne et occidentale, une réserve de puissance invraisemblable dont j’ai perçue l’existence (aux lieux même de plus grand dénuement matériel, tel le camp de Khan Younès) sans vraiment la comprendre. Mieux la comprendre en s’y liant par un projet commun – vieux principe communiste -, telle est donc, au retour, la tâche - « la mission ».

 

Finalement, Gaza constitue, je crois, une brèche active du monde contemporain : moins une ligne de fracture de son dispositif de clôture et saturation – c’est sa version négative (quelque chose du capitalisme parlementaire et néo-colonial n’y marche pas) – qu’une zone de subduction/obduction (comme disent les géologues de la tectonique des plaques) où quelque chose d’ancien plonge en même temps que quelque  chose de nouveau émerge ; moins une « zone des tempêtes » qu’une zone de possible renouvellement subjectif de l’humanité.



[1] Expression commune indiquant l’admiration devant ce que Dieu a créé

[2] http://www.facebook.com/salafyocosta

[3] Pieux musulman (642–728) qui transmit un très important nombre de hadiths (propos de Muhammad)

[4] Sultan d’Égypte (1180–1238), neveu de Saladin, qui combattit les Croisés

[5] L’enseignement religieux recourt systématiquement à la voyellisation quand l’enseignement non religieux s’en dispense – façon de déclarer que la langue se partage d’un côté en une pensée (pour les mandarins) qui mérite d’être minutieusement écrite et d’un autre côté en une simple communication (pour le petit peuple) qu’il suffit alors de noter.

[6] Je dirai que notre délégation, grosso modo, comportait 40 % de jeunes, 40% de sexagénaires et 20% dans la quarantaine…

[7] « Le repaire du coq »

[8] Et quand bien même nous aurions risqué notre peau en cette affaire, c’eût été une stupidité politique de le faire en une provocation inutile.

[9] Rappel : Israël a déclenché son agression, délicatement nommée « Plomb durci », le 27 décembre 2008. En entrant à Gaza le 27 décembre 2012, nous voulions témoigner de notre soutien aux Gazaouis très exactement 4 ans après ce déclenchement..

[10] ersatz, bien sûr : Gaza n’a pas été « libéré » par les Palestiniens ; c’est Israël qui s’est retiré unilatéralement, après avoir soigneusement rasé et détruit ses colonies pour que les Palestiniens ne puissent en profiter.

Cette « zone de réserve » est, comme l’on sait, sans arrières. Elle reste sous contrôle permanent de l’armée israélienne qui vient régulièrement assassiner le militant palestinien qu’elle estime en trop (comme on régule dans une réserve africaine certains types d’animaux qu’on trouve en trop grand nombre…).

Il ne saurait donc s’agir d’une zone libérée au sens par exemple de celles qui ont pu exister en Chine avant 1949.

[11] colimite injective (accolement…)

[12] par une situation donnée