Le questionnaire ci-dessous est une base d'échange et de
travail avec les poètes, actifs depuis 68 et qui s'emploient toujours à
maintenir une situation vivante de la poésie. Ainsi, nous renouons avec
les enquêtes telles qu'elles se pratiquaient durant la modernité. Ce
questionnaire constituera notre orientation de travail pour la semaine.
1. Nous faisons l’hypothèse que quelque chose est à reprendre de la modernité, pour chaque art dans son propre domaine comme pour la politique… Ré-inventer ce qui a été tenté il y a cinquante ans et qui a été depuis abandonné, après avoir buté sur de réelles impasses, qu’en pensez-vous ?
2. Quel était votre rapport à la modernité en 68 ? Quels étaient les poètes qui comptaient ? Quels poèmes modernes constituent-ils pour vous des impasses ?, ou du moins des points de butée ?
3. Situer vos poèmes par rapport à la modernité a-t-il pour vous un sens ?
4. Nous nous efforçons de penser 68 comme une singularité, comme un moment local qui exhibe des contradictions qu’on ne peut durablement tenir ensemble, notamment, par exemple, entre la question de l’égalité et cette de la liberté. Est-ce qu’il y a une telle singularité pour la poésie ? Une poésie vous paraît-elle singulière en ce sens en 68 ?
5. 68 se caractérise par un moment de déferlante de la parole, notamment à travers les slogans, les affiches. Cela semble poser problème à la poésie. Qu’en pensez-vous ? Et avez-vous cherché à prendre en compte cet aspect dans votre poésie ? Si oui, comment ?
6. Ces dernières années ont vu l’émergence d’un art dit contemporain (dans la danse, les arts plastiques puis visuels, la musique…). Quel regard portez-vous sur cette évolution en poésie ?
7. Notre époque semble marquée par trois tendances fortes : un retour au classicisme, une reprise des modernités, et enfin une fuite dans le contemporanéisme. Dans votre pratique des poèmes, sous quelle forme la dialectique classique, moderne et contemporain est-elle présente ?
8. Quel rapport voyez-vous entre la poésie (ou des poèmes particuliers) et le désir de révolution, notamment le désir d’émancipation à l’œuvre dans les révolutions ?
9. La subjectivité des poèmes depuis cinquante ans en France semble manquer d’enthousiasme. Qu’est-ce que serait pour vous un poème enthousiaste ?
10. Dans notre situation, quels combats la poésie a-t-elle à mener ? Selon vous, de quelle idée de la poésie vos poèmes sont-ils militants ?
11. 68 a aussi été le moment d’une parole collective, voire de collectifs de parole. Y a-t-il des poèmes qui, selon vous, ont ce souci du collectif ? Ou comment voyez-vous ce souci du collectif s’exprimer en poésie ?
12. Une branche de la poésie des années 60-70 (par exemple, les revues TXT et Tel Quel) a été attentive à une réinvention de la politique organisée (maoïsme en France, opéraïsme en Italie...). Il y avait alors deux aspects à cette réinvention politique :
· un aspect critique : attaque des partis communistes officiels comme confiscateurs des questions politiques, nouvelle bourgeoisie ;
· un aspect affirmatif : remettre ces questions politiques au main du peuple, des OS, des paysans pauvres, des ouvriers immigrés (par des outils comme l’enquête organisatrice, la réunion politique…) .
Il semble
que cette poésie aura laissé de côté les inventions de l’aspect affirmatif ;
elle se sera surtout appuyée sur l’aspect critique pour développer, de son
côté, une critique des formes par les formes, dans l’héritage de Lautréamont.
Êtes-vous d’accord avec ce jugement, faudrait-il le nuancer ? Quel rapport
pouvait avoir la poésie avec la partie affirmative, sans mettre en péril son
autonomie ?
13. Ces années furent aussi le moment des “derniers feux surréalistes”, extinction qui se manifestera par une perte de confiance dans la puissance de l’image poétique. Quels rapports avez-vous entretenus avec cette extinction ?
14. La voix en poésie, cela peut être la grammaire ; cela peut être aussi la lecture orale et donc le corps ; enfin cela peut être la voix même du poème. Comment la voix est-elle active dans vos poèmes ?
15. Même si l’on considère que la voix est celle du poème, il semble que celle-ci ne puisse jamais être plurielle. Est-ce que vos poèmes ont buté sur cette difficulté ?
16. Dans vos poèmes, comment s’énonce ou se pense le nœud entre un travail de symbolisation, un imaginaire sous-jacent et un réel de la matière poétique que vous travaillez ?
17. Si l’on tient qu’il faut faire un partage entre le matériau et la matière (par exemple, en musique, le matière est à chercher du côté de la note quand le matériau est à chercher du côté du son), quel serait-il pour vous ?
18. Pour se poursuivre et se renouveler, à quels aspects pensez-vous que la poésie puisse renoncer ? Sur quels aspects, au contraire, ne doit-elle pas céder ?
19. Les poèmes ont longtemps montré leur forme dans le vers réglé métriquement. Puis sont apparus les poèmes en prose, le vers libre. Quel impact selon vous cela a-t-il eu sur les poèmes ? Comment dans votre pratique faites-vous avec cette histoire ?
20. Pourriez-vous choisir un poème « moderne » et le lire pour nous ?