Que peut la peinture aujourd’hui ?

 

I. Constat

Concernant la peinture comme pour d’autres arts, 68 peut être perçu comme une série de convergences contraires :

- avec les affiches, notamment celles de l’atelier populaire de l’École des Beaux-Arts[1] la peinture se montre dans la rue mais elle se fait propagandiste ;

- la pratique de la peinture tend à se spécifier dans des formes uniques : le groupe Supports/Surfaces qui déconstruit le tableau et la Figuration narrative qui se concentre sur le tableau et les effets d’hyperréalisme pour accroître l’impact figuratif et politique de ses productions ;

- de cette époque datent de nouvelles pratiques qui se situent au-delà de la différence entre peinture et sculpture  Fluxus, le Minimalisme, l’Art conceptuel et l’Arte povera ;

- la pratique de la peinture elle-même évolue depuis les années 50, notamment aux États-Unis mais aussi en France avec l’École de Paris dans un formalisme qui tend à s’essouffler ;

- enfin apparaît le terme d’arts plastiques, désignant à la fois une discipline enseignée et le regroupement de novelles pratiques qui se situent au-delà de la différence des arts.

 

En fait, on pourrait dire que la peinture a commencé déjà depuis de nombreuses années à évoluer et à chercher une issue nouvelle face aux impasses du modernisme des avant-gardes d’avant guerre. 68 en France rend manifeste que peindre est intransitif mais en même temps qu’il y a toujours quelque chose qui est peint.

 

Armé de ce constat, on peut tenir que la peinture, non seulement est toujours vivante, mais qu’elle est encore une forme pour nos temps présents. Qu’elle est encore capable de nouveauté, non pas en passant par un retour à, un néo quelque chose, mais qu’elle peut être inventive de son propre devenir. Notre hypothèse est qu’une telle invention passe par une reprise extensive de la modernité et des tâches que celle-ci assignait à la peinture : soit par le geste, le rapport aux mots, le collage, d’autres formes encore à inventer.

 

 

II. Principe

Il s’agit d’inviter des peintres à venir accrocher un ou plusieurs dessins ou peintures sur les murs du théâtre de la Commune. Cela en dehors des circuits institutionnels, en assumant donc une part de risques. Il s’agit par là d’affirmer une pratique vivante, spontanée et enthousiaste de la peinture, une pratique gratuite comme ont pu l’être certaines formes de 68. Les envois, légers et divers seront punaisés au mur.

 

 

III. Enjeux

- Montrer ce que peuvent être les tâches de la peinture aujourd’hui, d’une peinture qui n’aurait pas cédé sur son autonomie relative, qui prendrait le risque d’une formalisation nouvelle et extensive.

- Poser des jalons pour un travail futur, prendre rendez-vous.

 

 

IV. Exemple

Notre temps qui voit des tâches de formalisations nouvelles dans les différents arts n’est pas nouveau. Les modernités picturales se sont constituées déjà sur de semblables rebonds. J’en donnerai un exemple.

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V. Humour

Description : mac:Users:imac:Documents:Eric:Reproductions:Fig Pas de puissance..., 1968.jpgEntre mai et juin, certains peintres renoncent à leurs pinceaux pour venir imprimer des affiches dans les écoles d’arts. Certains d’ailleurs avaient déjà cessé de peindre avant 68, et Mai n’est qu’une confirmation de cette voie. D’autres, pendant plusieurs années cesseront de peindre et reprendront cette activité par la suite.

 

Le peintre A. Jorn suit avec proximité et humour les événements de mai 68. Face aux renoncements des peintres à l’atelier des Beaux-Arts, il réalise des affiches qui semblent autant d’appels malicieux aux exigences de la peinture plutôt que du militantisme politique.

 

Alors que la majorité des affiches empruntent les formes et les exigences de l’affiche de propagande, lui dans ses affiches, au mépris des codes publicitaires, fait des erreurs d’orthographe, écrit de manière peu lisible, multiplie les couleurs. Il transforme les affiches en peinture, plutôt que de se faire affichiste.



[1] voir l’entretien de G. Fromanger avec L. Gervereau dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1988, voir cette page web de Jean-Paul Achard.